Ouverture :
Michèle Vianès, Présidente de Regards de Femmes :
Laurent Dejoie, Président de l’Association du notariat francophone :
C’est une journée assez particulière d’être à l’ONU pour parler des enfants fantômes. Cela fait cinq ans qu’avec Abdoulaye Harissou nous avons écrit cet ouvrage. Cela a été un long travail de plaidoyer : devant la Francophonie, l’OIF, la Banque mondiale, au Parlement européen, à l’Assemblée nationale et aujourd’hui aux Nations Unies. Nous sommes allés auprès du public pour populariser cette cause délicate. Nous sommes aussi allés sur le terrain. Nous avons retenu qu’il faut agir à tous les niveaux. Avec Regards de femmes, nous avons compris qu’il fallait parler aux Etats et aux institutions internationales : l’état civil est une mission régalienne. L’Etat délivre une identité, une nationalité, des droits à un enfant. Toute action publique doit reposer sur un état civil fiable. Cela permet de fonder des actions publiques adaptées et d’en faire des évaluations de qualité. Il faut aussi agir auprès du public et c’est ainsi que l’action a été possible grâce au film. Cela passe aussi par des études universitaires. J’essaye de monter un diplôme universitaire (DU) état civil à l’université de Nantes. Avec cette volonté de sensibiliser le public, il est important de passer par l’anniversaire de la CIDE. Nous n’avions pas imaginé être à l’ONU pour parler des enfants-fantômes, donc merci à Michèle Vianès, la présidente de Regards de Femmes.
Projection d’un extrait du documentaire « Les enfants fantômes, un défi pour l’Afrique ».
Michel Welterlin, producteur du documentaire précité.
Le documentaire a été diffusé sur la chaîne parlementaire LCP et en Afrique. Impact extraordinaire du film, multidiffusé plus d’une vingtaine de fois. C’est une question délicate et nous avons fait des tournées en Afrique, en Côte d’Ivoire, grâce au notariat et à l’OIF. Parmi tous les documentaires produits, c’est celui-ci dans lequel l’investissement personnel a été le plus fort. On va voir un extrait aujourd’hui comme le temps est compté, de 8 minutes. Malheureusement l’une des personnes, Mamadou Diédhou, instituteur qui devait être là, a loupé son avion.
La sensibilisation est due à la lecture du livre « Les enfants fantômes, un défi pour l’Afrique ». Dans la préface, Badinter qualifie la situation de crime contre l’humanité. Sur le terrain avec les équipes, l’ampleur du phénomène est terrible. C’est plus que 60 millions d’enfants par an, plus de 230 millions d’enfants de moins de 5 ans selon l’UNICEF. C’est dramatique pour les enfants. Ce ne sont pas des enfants fantômes en tant que tels, ils ont une famille, sont connus dans les villages mais pour circuler, avoir un téléphone, avoir un compte en banque, il faut un acte de naissance et être déclaré.
Coup de projecteur
Abdoulaye Harissou – avec Laurent Dejoie, co-auteur du livre « Les enfants fantômes Un défi pour l’Afrique» (Albin Michel).
Il faut d’abord distinguer 2 catégories d’enfants:
- Il y a ceux qui sont scolarisés : c’est plus facile car ils sont identifiés. Quand il faut préparer les dossiers pour le certificat d’études et le passage en collège, on se rend compte qu’ils n’ont pas d’acte de naissance. Il faudra alors leur obtenir des papiers rapidement et c’est un parcours du combattant. Certains ne pourront pas passer le concours. Ils sont récupérés par la délinquance, la drogue, ils n’ont plus d’avenir. D’autres finissent en prison. Or, sans acte de naissance, ils ne sont pas avec les mineurs mais avec les adultes. La solution : l’enregistrement par jugement supplétif. Il faut organiser des audiences et déplacer le tribunal dans les villages. Les enfants obtiennent un certificat apparent d’âge par les médecins (dentition, main sur la tête…). Ces enfants n’ont pas d’anniversaire. Pour cela, il faut modifier la législation car sinon, on ne peut obtenir de jugement supplétif de manière simple, souple et gratuite. Cela coûte cher et les procédures sont longues. Un pas a été fait avec l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie : une loi cadre sur l’état civil a été adoptée, loi qui contient les conditions pour obtenir de manière souple et gratuite les actes de naissance pour les enfants.
- S’agissant des enfants non scolarisés, c’est la croix et la bannière. Ce sont des enfants nés entre les mains des sages-femmes traditionnelles. Les bracelets e-civil sont une solution dans les hôpitaux et les centres de santé, mais pas dans les villages. Quelle solution ? Il y a au moins 230 millions d’enfants qui n’ont pas d’acte de naissance : il faut mettre en place un système préventif, d’alerte avec les compagnies de téléphonie mobile (en effet, chaque membre de la famille a un portable). Pour cela, il faut d’abord sensibiliser les chefs traditionnels et les instituteurs. Mais dans la législation, il faut aussi utiliser la théorie du bâton et de la carotte. Au bout d’un certain nombre d’années, il faut sanctionner : nous avons constaté que les chefs de famille sont la cause de retard de l’éradication de ce phénomène car cela ne les intéresse pas. Dans tous les pays africains musulmans, les baptêmes se font le 7ème jour à il faut sensibiliser les imams à ne baptiser que les enfants qui ont un acte de naissance.
Alain Grumberg, modérateur :
Le bracelet e-civil a un code à bulle : permet de générer des puces, des bulles d’air et les enfants peuvent être enregistrés. Ce système est utilisé au Burkina Faso et Adama est en relation avec les NU. Ces solutions sont efficaces, beaucoup moins chères que de mettre en place un système biométrique, et donnent un numéro unique.
Laurent Dejoie, Président de l’Association du notariat francophone :
C’est une rencontre de hasard et de nécessité : hasard, en visitant un orphelinat (l’enfant subit une double peine : il n’a ni parents, ni identité). Comment faire sans acte d’état civil pour participer aux actes de la vie civile ? Finalement, ce n’est pas le 1er problème. Un enfant sans identité n’a pas accès aux droits les plus élémentaires. La profession de notaire est assez immergée dans la vie quotidienne des citoyens d’un pays, c’est pourquoi nous sommes concernés par cette problématique.
Alain Grumberg, modérateur :
Pour identifier les enfants scolarisés sans état civil, des ministères sont intervenus et grâce à une avancée juridique cela a permis de se passer d’une audience, qui coûte cher. Cela a pu se faire grâce au Ministère de l’intérieur et de la justice de recenser les enfants dans les écoles et de régulariser les situations dans ces écoles en Côte d’Ivoire.
Michel Welterlin, producteur du documentaire “Les enfants fantômes, un défi pour l’Afrique” :
Avec le plan “émergence” le président Macky Sall, des pays d’Afrique ont pris conscience que c’était important, qu’il y a des moyens. Il faut informer les citoyens et les populations, notamment les plus isolées et fragiles car ils ne savent pas ce qu’est l’état civil. Il faut prendre conscience que c’est important pour leurs enfants même si eux n’en ont pas.
Alain Grumberg, modérateur :
Est-ce qu’une organisation comme Regards de Femmes peut être une sorte de relais, de stimulant ?
Michèle Vianès, Présidente de Regards de Femmes :
Oui c’est l’objectif. Nous travaillons en lien avec les associations de terrain. Ce qui est important, c’est que les associations aient les moyens et que l’importance de l’état civil soit reconnue par leur État. On observe toutes les actions des associations, mais il faut une synergie avec l’Etat. Il faut faire en sorte que les autres ministères s’en occupent. Par exemple, pour les campagnes de vaccination, il n’y a pas de problème. Parmi les objectifs, il faudrait faire une fois par an, de la même manière, une campagne de déclaration des naissances. Cela ferait une seule audience par an. L’axe important ce sont les mariages et les grossesses précoces. Comment agir s’il n’y a pas de document d’identité. L’âge ne peut pas se prouver sans acte de naissance.
Alain Grumberg, modérateur :
En outre, ces enfants se trouvent les victimes de tout trafic. Au Niger, on avait retrouvé un bus avec une cinquantaine d’enfants morts avec des adultes car ils étaient l’objet de trafics pour servir de bonnes, d’esclaves sexuels.
Questions sur cette première partie de conférence :
Marie Isabelle Iron ? : elle a pour projet de fonder une ONG en RDC, Kinshasa. En RDC on n’a rien du tout, et elle voulait savoir, il y a ce problème d’enfants qui naissent sans papiers, mais comment avoir des aides, soutiens, conseils, car elles partent de zéro.
Abdoulaye Harissou, auteur du livre “Les enfants fantômes” :
Il faut contacter l’UNICEF car dans tous les pays africains ils font un super travail et ont des résultats. Mais l’UNICEF s’occupe aussi des mutilations génitales, mariages précoces, donc ils ont pensé qu’il faut créer une fondation qui doit s’occuper uniquement de ce problème d’état civil. Il y a aussi Plan International et énormément d’acteurs.
Nafi Gueye, Sénégal :
Elle a créé « J’existe », qui est né après avoir vu ce documentaire. Elle ne savait pas que son pays avait ce problème et a créé cette association au Sénégal et a mobilisé plus de 1 500 personnes en un an. Comment on fait et qu’est-ce qu’on fait pour la synergie des personnes ?
Alain Grumberg, modérateur :
Laurence Dumont elle-même regrette ce manque de coordination.
Michèle Vianès, Présidente de Regards de Femmes :
Une des solutions que Regards de Femmes a pu mettre en place est cette plateforme d’état civil, mais une Fondation serait importante. Nous agissons depuis 2010 et c’est seulement depuis 2 ans que c’est vraiment devenu LA question au niveau international. Les associations des différents pays agissent, beaucoup de choses se font et la Francophonie permet de créer cette synergie.
Abdoulaye Harissou, auteur du livre “Les enfants fantômes” :
Aujourd’hui, il y a une cacophonie dans les actions qu’on mène. J’ai une anecdote : au Cameroun, un chef traditionnel a réuni tous les chefs de quartier, de village et a dit : toute personne qui veut un acte de naissance paie 3000 francs CFA. Ils se sont retrouvés avec un grand nombre de demandes d’acte de naissance. Des étrangers ont voulu aussi en avoir. Il faut coordonner tout ça, contrôler et encadrer l’activité même de délivrance d’actes de naissance car il risque d’y avoir un effet boomerang.
Laurent Dejoie, Président de l’Association du notariat francophone :
Il faut prendre la situation telle qu’elle se présente dans les différents pays. Quand on touche à l’état civil, on touche à l’existence juridique de l’enfant, à sa nationalité. Il faut passer par l’Etat, passer par des groupes de pression. La solution est variable selon les Etats, il faut faire un important travail de plaidoyer. Il faut faire attention aux pratiques déviantes sur l’attribution d’un état civil. Même en France, il existe des tentatives de détournement pour avoir un extrait de décès car cela éteint l’action pénale. Dans les différents pays, les législateurs sont des vecteurs essentiels pour que les choses avancent à côté de l’échelon associatif.