Entretien avec Cyrille Zongo-Ondo, spécialiste des programmes « transition et processus électoraux »
1) Cyrille Zogo Ongo, en 2014, vous étiez déjà en charge des programmes de la Francophonie, lorsque l’Organisation Internationale de la Francophonie a publié le guide pratique pour la consolidation de l’état civil, des listes électorales et la protection des données personnelles. Pourquoi l’OIF a-t-elle publié ce guide, formidable outil, complet, précis et détaillé ? Quel en est l’objectif ? A qui est-il destiné ? Avec quels partenaires ?
L’appui aux transitions et aux processus électoraux est l’un des chantiers les plus importants de la programmation quadriennale de la Francophonie. Dans le cadre de la mise en œuvre de ce chantier, et notamment en ce qui concerne les élections, l’OIF a déployé des missions d’observation, d’information et de contacts qui ont révélé que la plupart des pays francophones, notamment du Sud, éprouvent de sérieuses difficultés quant à l’identification, l’enregistrement des électeurs et la constitution des listes électorales. Ces difficultés sont liées essentiellement à l’absence et/ou à une mauvaise tenue du registre d’état civil qui empêche l’élaboration d’une liste électorale reflétant l’ensemble de la population en âge de voter. En effet, dans bien des pays, la base sur laquelle sont établies les listes électorales apparaît incertaine : l’état-civil est généralement problématique, non seulement parce qu’il est incomplet ou en désordre, mais aussi du fait d’une certaine confusion des patronymes qui, dans certains pays, sont d’usage récent. Dans certains cas, l’état-civil est simplement inexistant. Or, c’est cet acte d’état civil qui fonde la personnalité juridique de tout individu ; d’où la nécessité de déclarer et assurer la garantie de tous les faits d’état civil que sont notamment : la naissance, le mariage, le divorce, le décès…
Soucieuse de voir la démocratie se consolider dans ses Etats membres, et considérant les effets néfastes de la défaillance de l’état civil sur la génération des listes électorales, l’OIF s’est engagée en 2014 à contribuer à la réflexion sur les meilleurs procédés d’enregistrement des faits d’état civil. Dans cette dynamique, et sous l’impulsion de sa Secrétaire générale, la Francophonie s’est engagée à accompagner les processus de modernisation des systèmes d’enregistrement d’état civil dans ses Etats membres qui en ont le plus besoin par la mise à disposition d’expertises et le soutien technique à la mise en œuvre des plans stratégiques nationaux élaborés conformément au « Programme africain pour l’accélération de l’enregistrement des faits d’état civil ». Pour ce faire, et privilégiant la mise en place des synergies utiles, l’OIF s’est rapprochée au cours des deux dernières années de certaines organisations internationales (UNICEF, CEA, Banque mondiale, UE) impliquées dans la recherche des solutions pour le renforcement de l’état civil, tout en œuvrant à la mobilisation de ses réseaux institutionnels dont l’Association du Notariat Francophone (ANF), le Réseau des Compétences Electorales Francophones (RECEF) et l’Association Francophone des Autorités de Protection des Données Personnelles (AFAFDP). Le résultat de ce travail en commun est le guide pratique pour la consolidation de l’état civil, des listes électorales et la protection des données personnelles.
2) RdF avait organisé à la Représentation permanente de l’OIF à l’ONU, en mars 2015, un atelier sur l’état civil qui réunissait institutions internationales, institutions publiques des pays et la société Civile. Nous avions demandé à ce que le guide pratique soit distribué ce qui a été extrêmement apprécié par les personnes présentes qui n’en avaient pas eu connaissance auparavant. Comment le faites-vous connaitre et le diffusez-vous ?
Pour le faire connaître, l’OIF en a assuré un lancement officiel lors des Journées des réseaux institutionnels de la Francophonie en mai 2014. Elle a également veillé à une large diffusion de cette publication auprès de l’ensemble de ses partenaires. Ainsi, elle a notamment organisé une présentation du guide lors de son Atelier d’Addis Abeba en septembre 2016 sur « les registres d’état cil et les élections ». Enfin, elle a fait traduire le guide en langue anglaise afin de toucher un public beaucoup plus large.
3) Vous préconisez de décliner le guide en plans nationaux. Quels sont les pays qui l’ont appliqué ? Pouvez-vous nous donner des exemples de plan national et de législation appropriée ?
Le Guide pour la consolidation de l’état civil, des listes électorales et la protection des données personnelles est un précieux outil qui rappelle les principes directeurs et les règles essentielles de la démarche en matière d’enregistrement des faits d’état civil et d’identification des personnes en âge de voter. Il est destiné aux acteurs en charge de ces questions qui, au moment venu, pourraient s’en approprier, en prenant en compte les réalités politiques, économiques, voire socioculturelles de leurs pays respectifs. A cet égard, trois situations, notamment en ce qui concerne le continent africain, méritent d’être distinguées :
- Des pays qui ont élaboré un plan stratégique, l’ont mis en place et évaluent les premiers résultats : On peut citer le Cap Vert, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Mauritanie. En Côte d’Ivoire, des audiences foraines sont organisées pour remettre des documents d’identité par jugements supplétifs. Mais, en Mauritanie si un numéro unique est attribué à chaque personne, l’acte de naissance est nécessaire pour obtenir cet identifiant. Donc le problème reste entier pour toutes les personnes dépourvues de déclaration de naissance.
- Des pays où un plan stratégique est élaboré, validé et prêt à être mis en œuvre ou du moins connaît un début d’exécution : c’est le cas au Cameroun, en Guinée, au Niger ou au Tchad.
- Dans le cas extrême, certains pays n’auraient pas encore pris de mesures pour moderniser leurs systèmes respectifs d’état civil. Il n’y en aurait que deux actuellement en Afrique.
4) Vous rappelez les enjeux pour les Etats et pour les citoyennes ainsi que les principes fondamentaux concernant les droits des personnes, le traitement, la sécurité et la protection des données, les obligations des responsables du traitement de ces données. L’OIF a-t-elle mis en place des actions de sensibilisation ou de formation des agents d’état civil ?
L’OIF accompagne les Etats qui le souhaitent et qui ont la volonté politique d’organiser un service d’état civil fiable.
L’OIF a mené 2 missions dans des Etats volontaires, l’une en Guinée en décembre 2016, l’autre au Niger en avril 2017 où seulement 16% des personnes y vivant seraient à même de justifier de leur identité, les autres habitants n’ayant été déclarés à la naissance.
Chacune de ces missions étant composée d’experts du Nord (France ; Canada) et du Sud (Sénégal ; Cameroun) ont permis aux experts de partager avec leurs interlocuteurs les principes et règles pertinents en matière d’enregistrement des faits d’état civil autant, tout en leur permettant de mieux cerner les obstacles au bon fonctionnement de l’état civil dans les pays d’accueil. Parmi ces obstacles l’on a pu noter les traditions, l’éloignement de l’administration par rapport aux usagers du service public, le manque d’intérêt des populations pour les déclarations des faits d’état civil dont les coûts sont parfois assez élevés… Il en résulte, du moins en ce qui concerne les élections, des anomalies dans le processus d’identification des personnes en âge de voter, des contestations de la liste électorale et au final la remise en cause de la crédibilité des élections y organisées.
La mise en ordre de l’état civil peut donc permettre d’éviter ou tout au moins d’atténuer des crises liées à l’organisation des élections.
Tout fait d’état civil doit être enregistré et protégé de manière à ce que personne ne puisse le modifier. Or, en absence de formation des personnes chargées d’enregistrer les faits d’état civil, d’outils adaptés et de salaire décent, la corruption et le risque de falsification des documents sont réels.
Le plaidoyer sur l’importance de l’état civil doit se faire à tous les niveaux de l’état : Ministère de l’Intérieur, préfecture, municipalités, conseils de quartiers, conseils de villages. Les plans d’émergence des pays en développement ne peuvent se réaliser sans une connaissance exacte de la démographie du pays.
5) La plupart des Etats se retranchent sur le coût des services d’état civil pour justifier leur manquement. Avez-vous sensibilisé les grands donateurs et recensé les fondations plus modestes qui aident des associations locales ?
La Banque Mondiale est investie dans le financement de programmes, l’Union Européenne également. Il faut veiller à ce que ces financements aillent vers des programmes pérennes et des mises à jour par les autorités locales. L’établissement de listes électorales sans registre central de la population n’est pas assez fiable et peut conduire à des conflits post-électoraux. Si elles sont établies par des opérateurs techniques privés qui peuvent conserver les code-sources, elles risquent de devoir être refaite tous les 5 ans. Le coût est bien supérieur à la mise en place d’un registre central de la population auquel les faits d’état civil seraient ajoutés par les autorités locales, au fur et à mesure de leur survenue.
Nous n’avons pas de lien avec les partenariats locaux. C’est pour cela que les ONG sont d’une grande utilité, elles agissent en complémentarité avec les Organisations internationales comme l’OIF.
6) Vous préconisez l’informatisation complète de l’enregistrement. Cela a un coût très élevé et nécessite la formation des agents au niveau national et local. Aussi des entreprises privées commercialisent des solutions informatiques et/ou des logiciels. Qu’en pensez-vous ? Etes-vous sollicité par les pays qui utilisent ces solutions ? Que leur conseillez-vous ?
Il revient avant tout aux Etats d’opérer le choix des technologies qui leur semblent appropriées en fonction des résultats escomptés. L’OIF n’y joue qu’un rôle d’accompagnement pour aider à une meilleure rentabilité de l’opération engagée. Cependant, consciente de la sensibilité des questions ayant trait aux données personnelles, elle travaille étroitement avec l’Association francophone des Autorités de protection des données personnelles (AFAPDP) de manière à empêcher l’utilisation à d’autres fins des données recueillies auprès de citoyens.
7) L’OIF est membre du programme pour l’amélioration accélérée des faits d’état civil et de l’établissement des statistiques (APAI-CVRS). La 3ème conférence mondiale des ministres responsables des pays africains à Yamoussoukro (Côte d’Ivoire) a préconisé de partager l’expérience APAI-CRVS pour influencer l’innovation. Est-ce que l’OIF partage les avancées du programme APAI-CVRS avec les pays francophones de l’Asie du Sud Est et de la Caraïbe ?
La réflexion est en cours pour intégrer les pays d’Asie et du Pacifique membres de l’OIF dans la réflexion et les actions en faveur de la modernisation de l’état civil. En effet, le phénomène d’ « enfants fantômes » ne touche pas que le continent africain. D’autres régions de l’espace francophone telles que l’Asie, le Pacifique ou l’Europe centrale et orientale n’en sont pas épargnée.
8) À votre avis, qu’est-ce que RDF peut apporter à l’OIF, et réciproquement, sur l’établissement des actes d’état civil ?
L’OIF accompagne des initiatives de formation de la société civile. J’ai pris connaissance de vos diverses actions, vous pouvez apporter beaucoup. Votre association ne se limite pas uniquement à la déclaration de naissance, mais s’intéresse également au mariage légal, au divorce et au veuvage au niveau de la succession ainsi qu’à tous les obstacles économiques, politiques et sociaux rencontrés par les personnes dépourvues d’identité juridique.
L’OIF a mis à votre disposition des locaux et interviendra lors de l’atelier que vous organisez le 13 mars à New York, à notre représentation permanente. Dans la mesure du possible, l’OIF participera, au lancement de votre plateforme de sensibilisation des Etats et de formation des populations sur l’importance des actes d’état civil, en juin à Lyon.