Regards de femmes a pu échanger avec Fadma Moumtaz, associée chargée de la communication et de l’information à l’UNHCR France, lors d’un entretien organisé le 11 janvier 2018 sur la question de la déclaration des naissances et sur les actions engagées par l’UNHCR sur cette thématique.
En préambule, Fadma Moumtaz a rappelé le rôle et les missions de l’UNHCR France ainsi que les actions de sensibilisation conduites ces dernières années, notamment sur la question des femmes réfugiées. S’agissant de l’apatridie, l’UNHCR France a réalisé un portfolio de portraits dont celui de M. Vivet qui est venu témoigner de son parcours lors de la conférence au Conseil Supérieur du Notariat.
Regards de femmes a ensuite pris quelques minutes pour présenter l’association, les actions menées en faveur de la déclaration des naissances, particulièrement la création de la plateforme qui a motivé cet entretien.
RDF – Le plan d’action 2014-2024 de l’UNHCR prévoit à l’action n°7 “assurer l’enregistrement des naissances afin de prévenir l’apatridie”, pouvez-vous expliquer les raisons qui ont motivé cette action ?
UNHCR – Pour placer cette action dans son contexte, au lancement de la campagne « 10 ans pour mettre fin à l’apatridie » en novembre 2014, le HCR a présenté un plan d’action en 10 points pour résoudre les situations d’apatridie lesquels sont :
- Action 1 : Résoudre les situations majeures d’apatridie existantes
- Action 2 : Faire en sorte qu’aucun enfant ne naisse apatride
- Action 3 : Supprimer la discrimination basée sur le genre de la législation sur la nationalité
- Action 4 : Prévenir le refus, la perte ou la privation de nationalité pour des raisons de discrimination
- Action 5 : Prévenir l’apatridie dans les cas de succession d’États
- Action 6 : Accorder le statut de protection aux migrants apatrides et faciliter leur naturalisation
- Action 7 : Assurer l’enregistrement des naissances afin de prévenir l’apatridie
- Action 8 : Délivrer des certificats de nationalité et autres documents attestant de la nationalité aux personnes qui ont le droit de recevoir de tels documents
- Action 9 : Adhérer aux Conventions des Nations Unies relatives à l’apatridie
- Action 10 : Améliorer les données quantitatives et qualitatives sur les populations apatrides
La multiplication des crises a conduit à une augmentation du nombre de personnes en situation d’apatridie. Une des causes identifiées étant l’impossibilité pour certaines personnes, notamment les femmes, même en cas d’absence du père, de déclarer la naissance de leurs enfants et/ou de transmettre leur nationalité.
Par conséquent, deux des leviers principaux pour lutter contre l’apatridie sont :
- De s’assurer de la déclaration des naissances de chaque enfant (action 7). L’acte de naissance reste un document essentiel dans l’attribution de la nationalité à travers les doctrines du jus soli et jus sanguinis. Le jus soli parce que dans l’établissement de l’acte, l’autorité d’état-civil indique le lieu / le pays dans lequel l’enfant est né. Le jus sanguinis pour la filiation des enfants leur attribuant la nationalité de leurs parents, quel que soit leur lieu de naissance.
- Et également de supprimer toute discrimination basée sur le genre (action 3). La situation de la jeune Rama illustre cette nécessité.
RDF – Quelles actions sont justement mises en œuvre pour parvenir à l’objectif d’aucun cas d’apatridie dû à l’absence de l’enregistrement des naissances d’ici 2024 ?
UNHCR – De nombreux États ont ratifié la convention et une quinzaine de pays a changé sa législation afin d’éviter les situations d’apatridie.
En mai 2017, l’Afrique de l’Ouest est devenue la première région au monde à se doter d’un plan d’action régional contraignant, les Etats de la CEDEAO s’engageant à ce que l’objectif d’éradiquer l’apatridie soit effectivement atteint d’ici 2024. Le Mali et le Burkina Faso ont adopté des plans d’action nationaux. Le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Guinée, Libéria, le Sénégal et le Togo ont entamé des réformes législatives touchant à la nationalité. Le Burkina Faso, déjà partie à la Convention de 1954 sur le statut des personnes apatrides, a adhéré à la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. [En savoir plus sur le site de l’ONU : (Audio et texte)]
Le HCR s’emploie à promouvoir l’enregistrement à la naissance de tous les enfants relevant de sa compétence – qu’il s’agisse de déplacés internes, d’apatrides, de réfugiés ou de rapatriés – en tant qu’intervention de protection standard. L’UNHCR permet aux femmes réfugiées de déclarer la naissance de leurs enfants dans le pays où elles se trouvent. L’UNHCR participe également à des cérémonies de remise d’actes d’état civil aux enfants.
RDF – Disposez-vous d’un budget propre pour financer vos actions et parvenir à l’objectif fixé pour 2024 ?
UNHCR – Chaque année, les budgets alloués sont votés. Celui de l’UNHCR s’élève à 7,7 milliards de dollars E.-U. au 30 juin 2017 avec un financement à plus de 90% par les États membres des Nations Unies et le reste par des entités privés. Toutefois, une diversification des ressources est nécessaire pour pouvoir mener nos actions.
Pour mettre fin à l’apatridie, le HCR a plus que triplé les dépenses allouées aux programmes visant à éradiquer l’apatridie (de 12 millions de dollars américain en 2009 à 36 millions de dollars américain en 2013) grâce, entre autres, au soutien constant apporté par les donateurs. Ces ressources supplémentaires ont été consacrées au financement des projets les plus prometteurs, via le processus «Seeds for Solutions», visant à résoudre les situations existantes et à prévenir de nouveaux cas d’apatridie.
Enfin, le HCR a également déployé des moyens humains complémentaires dans les pays qui comptent d’importantes populations apatrides ou risquant de le devenir dans le cadre du développement du projet SURGE sur les capacités d’intensification de la protection. [Pour en savoir plus : Plan d’Action 2014-2024 (page 8/ressources)]
RDF – Vos actions sont-elles menées en partenariat ? Si oui, quels sont vos partenaires ?
UNHCR – L’UNHCR travaille avec l’ensemble des entités onusiennes qui mobilisent des ressources importantes depuis plusieurs années pour résoudre ce problème.
RDF – La mise en œuvre du plan d’action ayant débuté depuis 3 ans, avez-vous déjà eu des retours sur cette action ? (Améliorations, données nouvelles, difficultés rencontrées et solutions envisagées pour y répondre,…)
UNHCR – La non-déclaration des naissances résultant dans certains cas de questions sociétales et culturelles, la résolution du problème demande du temps. De plus, les personnes ciblées par cette action n’apparaissant dans aucune statistique puisqu’elles ne sont pas déclarées, il est difficile de mesurer les progrès.
Les avancées dont nous pouvons faire état sont celles liées aux importantes vagues d’enregistrement, par exemple, en Côte d’Ivoire.
Un autre exemple, le Gouvernement thaïlandais a avalisé l’objectif « zéro apatride » dans le pays d’ici à 2024. Le gouvernement a informé le HCR qu’entre 2012 et juillet 2017, plus de 30 000 apatrides avaient acquis la nationalité thaïlandaise. [En savoir Plus : Opérations du HCR en Asie et dans le Pacifique]
Il reste encore à poursuivre les efforts en matière d’information et de sensibilisation pour lutter contre les pesanteurs culturelles. À cet égard, le HCR a également fait appel à des artistes qui se sont mobilisées pour la campagne #IBelong (“J’appartiens”) en prêtant leurs voix et leur musique au message de la lutte pour l’éradication de l’apatridie.
RDF – La vocation de l’UNHCR est de lutter contre l’apatridie, toutefois la question de l’enregistrement des naissances est plus large, comment faites-vous pour vous inscrire dans une démarche plus globale sur cette thématique ?
UNHCR – L’UNHCR travaille avec l’ensemble des entités onusiennes, notamment avec l’UNICEF, pour promouvoir l’enregistrement des naissances, améliorer les systèmes d’enregistrement des faits d’état civil et de statistiques de l’état civil.
S’agissant plus spécifiquement des enfants, le rapport « Je suis là, j’existe : l’urgente nécessité de mettre fin à l’apatridie » est le résultat des consultations du HCR (en juillet et août 2015) auprès de 250 enfants et jeunes, ainsi qu’avec leurs parents et tuteurs, la société civile et les gouvernements de sept pays (Côte d’Ivoire, République dominicaine, Géorgie, Italie, Jordanie, Malaisie et Thaïlande) afin qu’ils racontent leurs expériences d’enfants apatrides.
Non seulement, nous visons les populations concernées mais aussi toutes les personnes qui pourraient devenir apatrides et à cette fin, nous travaillons ensemble avec les autorités.
RDF – À votre avis, qu’est-ce que RDF peut apporter à l’UNHCR, et inversement, sur la question de la déclaration des naissances ?
UNHCR – Nous soutenons les actions entreprises par Regards de femmes et communiquerons sur la création de cette plateforme. Elle permettra de mieux identifier la problématique de la non déclaration des naissances et les conséquences désastreuses auxquelles peut conduire l’absence d’état civil, situation à laquelle font face des millions d’individus dans le monde.
RDF – Le prétotype de la plateforme de Regards de femmes sera présenté à l’ONU à New York pendant la CSW en mars 2016, le lancement officiel aura lieu en juin à la Métropole du grand Lyon. Nous ferez-vous l’honneur d’y participer ?
UNHCR – UNHCR France participera volontiers à votre évènement à Lyon.
Nous pourrions, à cette occasion, mettre à votre disposition l’une des expositions que nous avons créée. Elles permettent d’informer et de sensibiliser différemment la population aux problèmes vécus par les personnes apatrides, enfants ou adultes.
Nous vous laissons le soin de contacter une de nos responsables à New York et souhaitons franc succès à votre intervention dans le cadre de la Commission de la condition de la femme (CSW) et au lancement de votre plateforme d’information et de sensibilisation tant auprès des Etats que des usagers sur l’importance de la déclaration des naissances. Elle s’inscrit parfaitement comme outil de protection et répond à l’un des volets du Plan d’action du HCR au niveau mondial pour éliminer l’apatridie.