Entretien avec le Docteur Morissanda Kouyate
Directeur exécutif du Comité Interafricain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants,
Expert auprès des Nations-Unies sur les mutilations génitales féminines et les mariages précoces,
1) RdF : Est-ce que le Comité agit sur les questions d’état civil ?
Dr Morissanda Kouyaté : Oui absolument, c’est à la base de tous nos projets. Comment lutter contre les mariages d’enfants si on ne connaît pas l’âge de la jeune fille ? Comment lutter contre toutes les pratiques néfastes s’il n’y a pas de justificatif pour dire « non ».
L’absence d’état civil est également un frein à l’éducation. Sans état civil légal pas d’accès à l’enseignement secondaire ni aux examens. Or la scolarisation des filles est la clé pour faire évoluer les sociétés.
Au-delà de nos actions et domaines d’interventions, l’état civil est la preuve de l’existence de l’enfant.
2) RdF : Engagez-vous des actions spécifiques sur l’état civil ?
MK : Le traitement de tous les maux contre lesquels nous agissons passe par les mêmes phases : sensibiliser, légiférer, faire appliquer la loi.
Dans nos programmes nous incluons des conseils spécifiques aux parents sur l’importance de la déclaration de naissance. L’enfant sans état civil ne peut profiter d’aucune des politiques de développement de son pays. Sans existence juridique, elle ou il ne peut ni hériter ni ester en justice.
3) RDF : Et vis à vis des Etats ?
MK : Simplifier les démarches pour la déclaration. C’est trop souvent un parcours long et compliqué. Nous recommandons d’utiliser des relais administratifs dans les villages : l’enseignant, l’agent de santé et lui déléguer la responsabilité de remplir la fiche qui ne comporterait que les informations essentielles : prénom de l’enfant, date et lieu de naissance, noms des parents
4) RDF : Vous évoquez les agents de santé. Comment expliquez-vous que le pourcentage d’enfants vaccinés soit plus important que celui d’enfants déclarés ?
MK : Cela tient aux campagnes de vaccination, épisodiques et périodiques. Lorsqu’une campagne est programmée, elle l’est sur un temps court, en raison des conditions de conservation des vaccins. Une grande publicité est faite sur la période pendant laquelle elle va se dérouler. Les familles sont ainsi avisées et vont se présenter au centre de vaccination. Il n’en est pas de même pour la déclaration qui est un acte individuel, lors de la naissance de chaque enfant.
Mais sans état civil fiable la vaccination n’aura pas lieu à l’âge prescrit. L’absence d’information fiable sur l’âge de l’enfant peut avoir des conséquences très graves En cas de double vaccination, c’est un surcout économique pour l’Etat.
Il faudrait pouvoir utiliser les campagnes de vaccination pour les coupler avec les déclarations d’état civil, pour les enfants qui en sont dépourvus.
L’état civil doit être l’élément saprophyte, il doit se greffer à tous les autres établissements de listes des données personnelles : inscriptions à l’école, vaccination, etc.
5) RdF : Vous parlez des campagnes de vaccination comme moyen de sensibilisation de la population. Est-ce qu’il faudrait lancer des campagnes d’audience foraine pour établir des jugements supplétifs de déclaration des naissances ?
MK : Attention à ce que le jugement supplétif ne soit pas considéré et ressenti comme un document de moins de valeur que la déclaration à la naissance. Lorsque le jugement supplétif est notifié dans les documents d’identité ou déductible si le jour systématiquement attribué est le premier janvier, cela est gênant et indiscret. Il faudrait adopter des lois pour que le jugement supplétif soit reconnu comme la déclaration initiale.
6) RdF : Quelles propositions ou remarques souhaitez-vous partagez ?
MK : Avoir un état civil est indispensable pour vivre dans la société, mais également pour la confiance en soi de chaque personne afin de savoir qui elle est.
En ville, la gratuité de l’accouchement et des frais annexes éviterait le départ de l’hôpital « à la cloche de bois », sans payer mais sans les documents attestant de la naissance de l’enfant.
Dans tous les villages, les personnes disposent de téléphones cellulaires. L’utilisation des techniques numériques permettrait de résoudre la question de l’éloignement, à condition de sécuriser les données et leur conservation. L’état civil est une fonction régalienne des Etats et les données doivent être protégées.
Un autre point important : il faudrait que chaque document d’état civil soit délivré en deux exemplaires, un pour la mère, un pour le père. Cela permettrait une autonomie réelle de la femme si elle veut divorcer, éviter les chantages et les conflits familiaux. Et ça ferait sauter le patriarcat !
7) RdF : À votre avis, qu’est-ce que RDF peut apporter au Comité InterAfricain, et réciproquement, pour la sensibilisation sur l’importance de de l’état civil ?
MK : Nous pourrions signer un avenant dans lequel serait décrit ce que nous pouvons apporter de part et d’autre pour la réalisation de notre objectif commun : un état civil pour chaque enfant. Il nous obligerait à parler de la déclaration de naissance dans toutes nos activités, à partager le lien de la plateforme numérique de sensibilisation de regards de femmes www.etatcivil.pw. Nous pourrions également vous demander d’intervenir lors de plateformes que nous organisons sur nos thèmes d’actions.