« L’état civil : enjeu de dignité humaine et de sécurité.
Le cas des mineur·es migrant·es non accompagné·es »

14 octobre 2019 – Lyon, Mairie du 7ème, Place Jean Macé – 18h-21h15

Ouverture :

Intervention de Michèle Vianès, Présidente de Regards de Femmes :

La déclaration des naissances constitue un droit fondamental et universel. Or, dans le monde, en zone rurale 2 enfants sur 3 ne sont pas déclarés à la naissance, 1 sur 2 en zone urbaine. L’Unicef estime à 60 millions par an dans le monde le nombre d’enfants non-déclarés à la naissance. La Banque mondiale estime à plus d’1 milliard le nombre de personnes dépourvues d’identité juridique.

Dans le contexte de crise migratoire, la coopération avec les pays d’origine pour l’établissement d’un état civil fiable dans les pays d’origine est essentielle. C’est un préalable indispensable à leur accueil.

La rencontre répondra aux questions :

  • Qui sont les MNA dans le département du Rhône et la Métropole de Lyon ?
  • D’où viennent ces jeunes filles et garçons sans document d’identité́ ?
  • Pourquoi ces parcours migratoires ?
  • Comment arrivent-elles et arrivent-ils ?
  •  Quelles sont les structures d’accueil, les modalités de prise en charge ?
  • Quel est leur avenir sur le territoire ?

Les causes : Si n’est pas perçu comme une priorité par les états et les populations, frein économique, barrière géographique, difficultés d’accès au service de santé, contexte géopolitique, mais surtout du fait de lois et coutumes discriminantes qui interdisent aux femmes de déclarer la naissance de leurs enfants.

Les objectifs de Regards de Femmes, soutenu par ONU Femmes, inscrire cette question :

  • à l’agenda des droits des femmes pour que les femmes, quel que soit leur statut matrimonial, puissent déclarer la naissance de leurs enfants.
  • Dans les Objectifs du développement durable (ODD 16.9)

(Lire l’intervention au format Pdf)

Intervention de Jacques Krabal (p. 4), député, Secrétaire Général de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF) :

Pas d’état civil, pas d’identité civile, pas de droits. Cela exclu la personne de la société et la rend vulnérable (pauvreté, discrimination, accès à l’éducation, etc.), d’autant plus lorsque ce sont des mineur·es migrant·es non accompagné·es. L’enregistrement des naissances permet de prouver leur minorité, d’où son importance. L’APF œuvre à sensibiliser les gouvernements en ce sens.  Les parlementaires francophones ont adopté en juillet dernier une loi cadre sur l’enregistrement, pour une reconnaissance juridique fiable et accessible à tous des enfants sans identité, en partenariat avec ONU SIDA et UNICEF.

Première table ronde : L’état civil, un enjeu de dignité humaine et de sécurité.

Mineur·es étrangers non documenté.es : que dit la loi.
Intervention de Nathalie Carron (p. 
6), avocate au Barreau de Lyon :

L’article 388 du Code civil définit ce qu’est un mineur isolé. Un arrêt du Conseil d’État du 20 juillet 2001 confirme cela et ajoute qu’il n’est pas un adulte responsable. Afin de déterminer l’âge d’une personne et l’absence de documents d’identité valables, un examen radiologique osseux est possible. Cependant, elle est de plus en plus réalisée d’office alors qu’elle doit être subsidiaire et comporte une marge d’erreur. La Cour de cassation peut remettre en cause un jugement de Cour d’appel au sujet de la minorité d’une personne. L’État français ne peut se substituer à la décision de l’État étranger et ne tient pas compte de ses coutumes de déclaration de naissance.

Intervention de Anne-Caroline Vibourel (p. 8), avocate au Barreau de Lyon :

Un mineur isolé documenté sera accueilli. S’il dispose d’un acte de naissance, cela peut toutefois être remis en cause. Dépourvu de tout document et n’ayant pas l’air mineur, il n’est pas accueilli. L’état civil est mentionné dans l’article 8 de la Déclaration internationale des droits de l’enfant,  l’article 47 du Code civil ainsi que dans la jurisprudence. La présomption de validité des documents d’état civil n’est pas absolue (charge de la preuve du côté de l’autorité qui conteste), mais ils peuvent être légalisés. L’aide des associations est en ce cas non négligeable. Le Bureau de la fraude documentaire vérifie les actes civils étrangers en théorie de manière exceptionnelle, mais non en pratique. Le juge français peut faire des jugements déclaratifs ou supplétifs de naissance.

La Francophonie au service des droits des mineurs, filles et garçons : la garantie des documents d’état civil fiables.
Intervention de Cyrille Zogo Ondo (p. 9), Organisation Internationale de la Francophonie :

La garantie de documents d’état civil fiables peut être assurée par : la Convention internationale sur les droits de l’enfant, la Convention des Nations Unies (1989), la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant (1990), la Convention de la Haye sur l’adoption internationale, la Convention relative aux droits des personnes handicapées, la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, etc. Elles prennent toutes en compte « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Cependant, des centaines de millions d’enfants sont dans l’incapacité juridique ou matérielle de jouir de ces droits du fait de leur inexistence légale. C’est pour l’OIF un enjeu juridique majeur, notamment pour l’organisation des élections. Actions : sensibilisation, mobilisation des réseaux institutionnels, Guide pratique, actions de plaidoyer et soutien.

Parcours de migration des mineur·es isolé·es.
Intervention de Aminata Ndiaye (p. 14), Conseillère G5 Sahel :

Phénomène de criminalisation de la migration des jeunes, alors que les femmes se font exploiter sexuellement et les hommes le sont au travail. 2016 : 9,2 millions de personnes victimes d’esclavage moderne. En Afrique c’est une industrie : cela rapporte 13,1 milliards de dollars. Même si le travail forcé fait trois fois plus de victimes, l’exploitation sexuelle génère le double de profits et certains États peuvent en profiter (ex : Libye). Pour l’OIF 80 % des femmes et filles qui arrivent par la mer risquent de tomber dans la traite et l’exploitation. Les passeurs et agents de sécurité des femmes sont source de violence, des personnes disparaissent.

Mineur·es et migrant·es isolé·es : le risque d’apatridie.
Intervention de Dia Jacques Gondo (p. 15), UNHCR :

En 2018, le HCR estimait à environ 10 millions le nombre des apatrides dans le monde. Facteurs d’apatridie : hérédité, politiques discriminatoires, conflit de lois de nationalités, procédures administratives défaillantes (système coûteux, pas de documents), disparation/succession d’États. Difficultés en matière d’apatridie : les crises et conflits, identification des populations concernées, la détermination du statut d’apatride, les enfants non accompagnés sont particulièrement touchés.  Elle peut être autant cause que conséquence de déplacements forcés. Les enfants nés apatrides font face à des discriminations constantes et l’absence de nationalité affecte particulièrement leurs perspectives d’avenir et leur capacité à revendiquer leurs droits. Protection contre l’apatridie des enfants : prévention et réduction des risques d’apatridie, identification et protection d’apatridie.

Deuxième table ronde : Mineur·es et migrant·es isolé·es non documentés.

L’aide sociale à l’enfance et les actions des institutions. Intervention de Marie Julliand (p. 15), BEAS, département du Rhône :

Ils offrent un accompagnement éducatif, dans la santé physique et mentale, projet de vie, scolaire aux MNA. Arrivées massives entre 2016 et 2018 avec des créations de places de l’ordre de 200-250 places entre 2018 et 2019, et 100 encore de plus entre 2019 et 2020. Cependant, il y a moins de 10 % de filles. Beaucoup proviennent de Guinée, Côte d’Ivoire, Mali. Proportion équivalente de personnes qui arrivent avec et sans document d’état civil. Les actes de naissance ne suffisent pas donc il faut sécuriser leur parcours en expertisant les documents d’identité et une fois fait ils accompagnent les jeunes à Paris aux ambassades pour qu’ils aient un document d’identité qui leur permettra de pouvoir déposer une demande de titre de séjour à leur majorité.

Intervention de Marie Jacquot, DDSHE (p. 21), Métropole de Lyon :

2015 : 261 MNA. Aujourd’hui : plus de 1600 MNA sur tout le territoire de la Métropole, qui a ouvert plus de 500 places de mise à l’abri. Difficultés : déterminer leur identité ne relève pas uniquement de l’aide sociale à l’enfance, mais aussi de services consulaires, etc. ; manque de fiabilité des documents d’état civil présentés Une circulaire de 2013 met en place un dispositif national d’accueil et d’évaluation des MNA. A Lyon, depuis avril 2018, Forum réfugiés évalue l’âge des primo-arrivants. 5 % de jeunes filles sont accompagnées dans les structures adaptées. Il y a 1/3 des personnes viennent de Guinée.

La situation dramatique de mineur·es non accompagné·es à la merci des trafiquants dans l’agglomération lyonnaise. Intervention de Raphaël Ruffier (p. 21), journaliste, auteur du documentaire intitulé « Les accueillants » :

La détermination de l’âge d’un jeune doit être réalisée pendant la semaine pendant laquelle il est mis à l’abri. Cependant, il y a beaucoup de demandes donc en réalité cela peut se faire qu’en quelques heures. Malgré ce que dit l’institution, il y a des mineurs à la rue, notamment parce qu’il y a des délais de plusieurs mois entre le moment où ils viennent pour être évalués puis le premier rendez-vous. Les jeunes peuvent arriver par des réseaux et sont potentiellement en danger, surtout les filles. Les particuliers peuvent venir directement en aide aux migrants.

Protection des réfugié·es et demandeurs d’asile, action des associations.

Intervention de Stéphanie Gaudillat (p. 22), directrice de l’Amicale du Nid :

Chaque année 360 personnes prostituées et victimes de traite sont accompagnées, souvent des femmes étrangères, jeunes avec de faux papier de majeures. L’enjeu, plus que la reconquête de leurs papiers, est celle de l’identité. On observe un fort rajeunissement. Le passage par l’Italie est la période la plus dure. L’absence de papiers d’identité justifie la non prise en charge des victimes par l’État, en dépit des engagements internationaux de la France. Les personnes peuvent alors demander asile, porter plainte ou faire valoir la loi de 2016.

Intervention de Claire Tripier (p. 22), cheffe de mission asile de Forum réfugiés :

Le droit de déposer une demande d’asile est un droit constitutionnel et le fait de ne pas avoir de document d’identité ne doit pas être un obstacle.  L’OFPRA a compétence pour délivrer des actes de naissance, décès, mariage qui font foi devant la justice française. La légalisation des documents n’est pas nécessaire lors d’une demande d’asile. Cette dernière est confidentielle et ouverte à tous les mineurs avec un représentant légal. Le traitement par l’OFPRA est d’ailleurs particulièrement favorable. Cependant, cette procédure est mal connue. Nationalités les plus représentées : Afghanistan, Guinée, République Démocratique du Congo.

Propositions conclusives.

Intervention de Claudine Lepage (p. 23), Sénatrice des Français établis hors de France :

L’absence d’enregistrement favorise les abus et les trafics d’enfants : esclavage prostitution, enfants soldats. Les mineurs non accompagnés pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance en France sont d’ailleurs majoritairement des garçons, les filles étant bien souvent victimes de réseau de prostitution qui les déclarent comme majeures. Cela nécessite une coopération internationale. La déclaration à la naissance permet également de tenir les registres électoraux et, en cela, est une garantie démocratique. L’APF a proposé une résolution, une loi-cadre, des questions écrites au gouvernement et auditionne des organismes sur le sujet. Le numérique peut aider à l’enregistrement. La Côte d’Ivoire est un pays très mobilisé.