Première table ronde : témoignages
Alain Grumberg, modérateur.
Les enfants sans état civil sont recrutés par les mouvements de rébellions et sont des machines à tuer. Ils tuent leurs propres parents parfois. Quelles sont les conséquences pour ces enfants qui n’ont pas d’état civil ?
Chanceline Gwladys Mevowanou, activiste pour le respect des droits des filles, Bénin.
La conséquence pour une fille non enregistrée à l’état civil et donnée à un mariage précoce et forcé est énorme. Sur le plan humain c’est une déshumanisation, on chosifie la fille, cela sous-entend qu’elle n’est pas sujet de droit dans son pays, il n’est pas possible de la protéger en tant que telle. Cette fille va se retrouver sous le toit d’un homme qui a peut-être l’âge de son père ou grand-père, dans un cycle de pauvreté, ses propres enfants ne seront peut être pas déclarés à la naissance et n’auront pas droit à l’éducation. Le même cycle va se répéter. L’avenir de ces femmes et de leurs enfants est mis en péril. Elle est comme une esclave, pas de voix, pas de droit !
Alain Grumberg, modérateur :
Une enfant qui ne va pas à l’école, ses enfants filles ont tous les risques ne pas aller à l’école. Une fillette qui devient mère qui ne sait pas lire, ne sait pas lire le mode d’emploi du lait infantile et peut donner la mort aux bébés du fait de diarrhées.
Hadja Idrissa Bah, Présidente de club des jeunes filles leaders de Guinée :
Ces mariages précoces/forcés sont aussi une difficulté en Guinée. Ce sujet est devenu une urgence en Afrique. Nous, en tant qu’acteurs et actrices de la société civile, nous rencontrons d’énormes difficultés car nous sommes sur le terrain. Les problèmes, les causes, les conséquences sont connus. Il faut trouver des solutions. Nous annulons les mariages des enfants : on nous demande de venir et d’arrêter le mariage d’un enfant. C’est impossible s’il n’y a pas d’acte de naissance car les parents prétendront que l’enfant est majeur. On a engagé les jeunes afin de savoir l’âge réel de la petite. Son papa veut absolument qu’elle se marie pour des raisons de pauvreté. La fille aussi a été embobinée : elle déclare « j’ai déjà 18 ans ». Ce n’était pas visible en la voyant. On essaye une autre stratégie : on lui demande sa carte scolaire où son âge devrait être mentionné. Mais impossible d’aller voir l’école car il existe un lien entre le futur époux et un instituteur. Quand les filles ont moins de 18 ans, ils prétendent qu’elles sont majeures. Sans extrait de naissance, on ne peut pas empêcher le mariage et la fille ne connaît pas l’importance de l’extrait de naissance : c’est un cercle vicieux. Est-ce que l’on va continuer les efforts ? Va-t-on revenir vers ces enfants qui n’ont pas d’extrait de naissance ? Il y a aussi une discrimination entre les enfants scolarisés avec ou sans état civil. C’est un phénomène qui me met hors de moi.
Alain Grumberg, modérateur :
Il faut prendre ces questions avec détermination. Chacune de votre point de vue, comment expliquez-vous cette situation, le fait que tant d’enfants soient laissés sans état civil ?
Chanceline Gwladys Mevowanou, activiste pour le respect des droits des filles, Bénin :
L’enfant est considéré au Bénin comme une chose, comme un patrimoine de sa famille. Il n’a pas de voix, il doit faire ce qu’on lui impose. Il n’est pas traité comme un être humain. Les parents ne sont pas sensibilisés à l’importance de le déclarer. Ils n’ont pas les moyens de leur permettre d’autres opportunités. C’est toujours le cycle de la pauvreté. Quand la fille est autonome, elle se bat pour offrir un avenir à ses enfants. Si elle n’est pas autonome, les conséquences sont très graves pour les enfants. Il faut créer le cercle vertueux : permettre l’autonomisation des filles pour créer un effet boule de neige.
Alain Grumberg, modérateur :
Quid de cette situation ? Comment vous voyez cette problématique de l’état civil en zone rurale ?
Hadja Idrissa Bah, Présidente de club des jeunes filles leaders de Guinée :
Permettez-moi de féliciter ceux qui se battent pour que ceci soit une réalité. Il faut rappeler qu’il y a quand même quelques avancées. Mais il faudrait revoir notre système administratif. On fait des forums où on invite des responsables qui voient les efforts mis en place. L’administration, ça ne va pas car ce n’est pas gratuit et en même temps on se permet de faire des extraits de naissance comme on veut. Cela nous empêche dans notre lutte contre les mariages des enfants. On est bloqués, stoppés et c’est le système. Nos pouvoirs sont limités à ce niveau-là. La justice et l’administration nous limitent.
On fait un jugement supplétif puis il y a un autre jugement supplétif pour contrer le fait que la personne est mineure, pour prouver qu’elle est majeure. Donc la justice nous limite, l’administration nous limite. Nous voulons que l’état civil soit accessible, gratuit.
SEM. Monsieur Kouadio Adjoumani, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de la République de Côte d’Ivoire près la Confédération Suisse et la Principauté de Liechtenstein.
Nous avons essayé de trouver des solutions, nous avons mis en place des solutions concrètes et trois ministères sont intervenus. Un forum pour trouver des solutions suivi de la création d’un organisme est confié aux trois ministères : de l’éducation nationale, de la justice, de l’intérieur, qui fait le recensement, qui délivre les cartes d’identité. Une étude a été lancé afin de savoir le nombre de personnes concernées : celles qui sont à l’école et celles qui n’y sont pas. L’opération a été définie pour une durée de 3 mois, cela ̈concerne 1 million 500 enfants environ et 14 857 écoles sur tout le territoire. Il s’agit d’une opération moins onéreuse que les missions normales de l’UNICEF, un comité de pilotage avec ces 3 ministères est coordonnée avec la collaboration de différents acteurs. Concrètement c’est adresser un état civil aux fins de recevoir les déclarations de naissance et aussi de dresser les états de naissances sur la base des ministères concernés. 503 000 réquisitions ont été signées. Forts de tout cela, nous avons poursuivi et restons vigilants. La Côte d’Ivoire est au niveau régional membre de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et de l’OUA (Organisation de l’Union Africaine). Les frontières sont poreuses, il y a également la question des enfants étrangers ainsi que la lutte contre l’apatridie.
Depuis 2015, l’éducation est obligatoire. Pour aller à l’école il faut être inscrit à l’état civil à partir de l’enseignement secondaire. Donc des actions ont été mises en place au niveau de l’école primaire pour fournir des documents d’identité aux enfants qui en sont dépourvus.
Alain Grumberg, modérateur :
Témoignage très intéressant. Au Niger aussi des efforts sont accomplis qui vont dans le bon sens donc il faut les donner. Les chiffres permettent de savoir quels sont les enfants qui sont enregistrés.
L’absence d’état civil se révèle à la fin du primaire. Les enfants sont nécessairement repérés quand ils n’ont pas d’état civil.
Alassane Dia, Président de Touche pas à ma nationalité TPNM Mauritanie.
Est-ce qu’aujourd’hui, vous êtes confrontés au non-enregistrement des enfants ? Pourquoi créer cette association ?
« Touche pas à ma nationalité » est une association née en juin 2011 à la suite d’un enrôlement (recensement), qui a pour but de noter officiellement les Mauritaniens pour un état civil fiable. Mais il y avait anguille sous roche : c’était discriminatoire envers la composante noire de la Mauritanie. Il y a toujours eu un problème d’identité : le pays voulait seulement être arabe. Début de génocide, massacres, déplacements dans les années 90… Dans l’association, on parle de génocide biométrique car on veut donner aux Mauritaniens des nouveaux papiers tout en excluant une partie de sa population.
Alain Grumberg, modérateur :
Vous parlez d’enrôlement mais cela explique aussi qu’il y a une forme de ségrégation. La Mauritanie a officiellement interdit l’esclavage en 1981, entre les Maures et Noirs il y a un passé lourd. Le non enregistrement d’une partie de la population est la continuité historique de ce qu’il se passe en Mauritanie.
Chanceline Gwladys Mevowanou, activiste pour le respect des droits des filles, Bénin :
Je pense qu’il faut outiller et autonomiser les filles. Les zones les plus reculées doivent être informées, pour les éduquer sur leurs droits sexuels et reproductifs, éradiquer la pauvreté. Dans les villages elles n’ont pas l’information, pas d’opportunités, donc il faut aller dans les villages pour informer, lutter contre les grossesses précoces. Les filles n’ont pas de modèle positif auxquels elles peuvent s’identifier, elles ont des rêves mais dans les villages l’avenir n’est pas radieux et il faut leur montrer qu’un autre point de vue est possible.
Hadja Idrissa Bah, Présidente du club des jeunes filles leaders de Guinée :
Les associations ont un grand rôle à jouer. Ce n’est pas facile comme combat sur des questions traditionnelles sensibles. On a mis en place des antennes dans le pays : on amène les jeunes filles dans le village à vouloir être comme nous. La seule solution, c’est de rendre l’éducation obligatoire et gratuite. On pourra vraiment savoir le nombre d’enfants qu’il y a et donner des extraits d’actes de naissance.
Alain Grumberg, modérateur :
Quel regard l’ambassadeur porte sur la situation dans ces trois pays ? Comment bien mettre en place ces éléments ?
Monsieur Kouadio Adjoumani, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de la République de Côte d’Ivoire près la Confédération Suisse et la Principauté de Liechtenstein :
C’est une question de volonté politique. La Côte d’Ivoire a bien conscience des conséquences graves des personnes sans état civil. Pour apporter une petite conclusion sur l’expérience ivoirienne, il ne suffit pas d’avoir réglé le problème, il faut une ouverture, peu importe le chef politique. Il faut une réforme de modernisation et pérennisation de l’état civil, avec comme premier jalon, une nouvelle loi qui informe et amende entièrement le corpus juridique d’aujourd’hui, attribution d’un numéro national d’identification, à vie. L’adoption d’une loi spéciale qui institue une procédure particulière de déclaration de naissance, qui donne une amnistie aux personnes qui utilisent des documents d’état civil qui appartiennent à des tiers.